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Où les Français veulent-ils habiter ?

ANIL, février 1996


Où les français veulent-ils habiter et comment choisissent-ils la localisation de leur domicile ? Tel est le thème que les ADIL ont abordé cette année. Pour les locataires et surtout pour les candidats à l'accession qui les consultent, les questions suivantes ont été étudiées.

  • Comment se déroule la recherche des ménages, quelle est leur zone de prospection ?
  • La volonté de changer d'environnement apparaît-elle comme un motif essentiel de leur projet résidentiel ?
  • Quel est le type de quartier recherché : dans quelle mesure peut-on notamment parler de retour au centre ou du moins de moindre éloignement en périphérie ?
  • La hiérarchie des critères de choix est-elle identique pour tous ?
  • Où ne veulent-ils habiter en aucun cas ?
  • Les arbitrages : quels sont les moins exigeants en matière de localisation, les plus disposés à habiter "ailleurs" ?

Près de 4.000 ménages ont été interrogés à cet effet par les ADIL, au cours du second semestre 1995, parmi lesquels 2.500 candidats à l'accession. Des entretiens approfondis ont par ailleurs été réalisés auprès de 150 d'entre eux. L'enquête permet ainsi de situer les choix des accédants par rapport à ceux des locataires - emménagés récents ou ménages à la recherche d'un logement locatif -, comparaison souvent éloquente.

Qu'il s'agisse du type d'environnement souhaité par les ménages, ou de la façon dont s'effectue le choix de la localisation, l'objet de ces travaux est de déceler d'éventuelles inflexions dans le comportement des ménages qui souhaitent accéder à la propriété, ainsi que le suggéraient les résultats de la consultation menée en 1994.

Constate-t-on une évolution significative de la situation et des qualités recherchées par les ménages ? Peut-on prétendre que la localisation représente un enjeu plus important qu'il n'y a une quinzaine d'années, et que son choix soit à ce titre mieux maîtrisé ?

Plusieurs indices plaident en faveur d'une certaine maturité du modèle de l'accession individuelle et d'une meilleure maîtrise du choix de la localisation. Cette évolution paraît toutefois bien inégale selon les consultants, les jeunes ménages étant toujours les moins exigeants en la matière, voire les moins lucides. De plus, elle n'a pas remis en cause la préférence de la grande majorité des ménages pour une accession périurbaine en individuel ; elle semble même s'accompagner d'une exacerbation du rejet de la "pleine ville" et des banlieues défavorisées.


Comment choisissent-ils ? Un apprentissage difficile et inégal

Les conditions du choix ne se présentent pas à l'identique pour tous les ménages. Leurs logiques de localisation se différencient essentiellement selon quatre types de facteurs : naturellement, la configuration du territoire sur lequel ils se trouvent et plus particulièrement le degré et le type d'urbanisation, leur contrainte économique, leur position dans le cycle de vie ; mais il faut aussi souligner l'importance des processus d'apprentissage en matière de localisation.

Les critères de choix de la localisation et les stratégies des ménages en la matière sont d'autant plus diversifiés que le territoire sur lequel ils résident est lui-même différencié, en termes de coût, de morphologie, d'équipement et de valorisation sociale. Une première distinction générale, certes assez grossière, peut être faite entre les zones rurales et petites villes d'une part, les zones urbaines plus importantes, d'autre part.

En zone rurale, le territoire est assez peu différencié en termes de coût, de morphologie, d'équipement et d'image sociale. Paradoxalement, pour ces ménages qui manifestent la préférence la plus forte pour un lieu déterminé, la nature et les qualités de la localisation sont donc absentes de la stratégie mise en oeuvre. Le choix qui peut être ainsi fait entre un centre-bourg, les quartiers de maisons individuelles alentour et la pleine campagne ne porte pas sur la localisation elle-même, mais bien sur la qualité du logement. Les opportunités - l'appui familial en particulier - jouent un rôle décisif. Dans les grandes agglomérations en revanche, la zone de prospection s'élargit : on s'attache à un certain type d'environnement et certaines qualités dans un secteur, un "quadrant" de l'agglomération, plus qu'à un lieu déterminé - quartier ou commune. Ces secteurs sont assez cloisonnés, en particulier pour les plus grandes villes : on recherche le plus souvent dans le secteur où l'on se trouve déjà, mais éventuellement plus loin. La zone de prospection peut s'ajuster au fur et à mesure, ses contours se précisent ou se modifient légèrement, mais elle ne se resserre pas. En revanche, les ménages font preuve, à l'intérieur de celle-ci, d'une certaine volatilité.

La contrainte économique des ménages - leur niveau de revenu et leur patrimoine - intervient à deux niveaux. Tout d'abord, elle détermine le champ des "possibilités résidentielles" de chaque ménage, la zone dans laquelle il peut raisonnablement envisager de trouver un logement, en fonction de ses capacités financières. Ces zones sont souvent définies et bien intégrées par les ménages bien avant le début de leur prospection ; elles sont relativement étanches. Ensuite, la contrainte de coût orientera de façon plus ou moins stricte les arbitrages effectués en dernier ressort entre les diverses opportunités qui se présentent aux ménages dans leur zone de prospection.

De la position des ménages dans le cycle de vie dépend principalement leur attrait pour les centres-villes, la proximité des équipements et des services urbains, celui-ci étant plus marqué pour les petits ménages (célibataires, isolés avec enfants à charge, personnes âgées, certains jeunes couples) et les familles "mûres" de plus de 35-40 ans, donc largement constituées.

L'apprentissage résidentiel des ménages, enfin, détermine - dans la limite de la zone des "possibilités résidentielles" évoquée à l'instant - leur niveau d'exigence et leur capacité à maîtriser le choix de la localisation. Les critères de choix des ménages dépendent en effet en partie de l'expérience qu'ils ont pu avoir des différents types d'environnement et de leurs qualités respectives. Ils se montrent donc d'autant plus lucides et exigeants que leur histoire résidentielle est plus riche et diversifiée. Mais une partie de leur apprentissage s'effectue également au fil de leur prospection et de la connaissance de l'offre qu'ils en retirent.

De nombreux ménages n'ont pas les idées très claires dès le début de leur prospection, mis à part sur l'éloignement maximum toléré voire, dans ces grandes lignes, sur la zone géographique souhaitée. La hiérarchie des critères de choix ne se précise, pour une bonne part, qu'au cours de la maturation du projet puis de la recherche proprement dite. Ainsi, plus du quart des ménages en tout début de leur recherche - soit un peu moins d'un tiers de l'ensemble des consultants - citent-ils simplement le coût des logements et des terrains comme critère principal de leur choix. Ce n'est le cas que pour un dixième des ménages qui ont visité quelques logements ou déjà effectué des recherches approfondies.

En définitive, et compte tenu des reports éventuels, la maturation du projet et la recherche proprement dite, semblent s'inscrire dans un délai "normal" relativement court de l'ordre de deux ans - trois ans au plus - dont trois à six mois de recherche active permettant de visiter de huit à dix logements en moyenne.

Cette maturation et la capacité de maîtriser le choix de leur localisation sont toutefois très inégaux selon les ménages ; ils sont de surcroît plus difficiles pour ceux dont le projet s'accompagne d'une forte mobilité géographique dans l'agglomération, c'est-à-dire principalement pour l'accession familiale péri-urbaine dans les grandes villes. Ainsi, les jeunes ménages, a fortiori s'ils sont plus modestes et issus de l'habitat collectif, sont-ils en général plus indécis et moins exigeants en matière de localisation, plus enclins à s'installer plus loin et ailleurs qu'ils ne l'envisagent de prime abord. Pour une majorité d'entre eux, la localisation paraît encore définie de façon très idéalisée, par simple rejet de l'environnement actuel, et non par l'effet d'un choix véritablement maîtrisé, par dégoût et non pour l'attrait de qualités particulières de l'espace. Ces comportements sont simplement moins visibles que par le passé, car les projets correspondants ne sont pas réalisables dans 40 à 50 % des cas.


Où veulent-ils habiter ? - Un modèle d'accession individuelle et périurbaine, encore très majoritaire

Le souhaite de changer d'environnement constitue, après la recherche d'un logement plus grand, la principale motivation des candidats à l'accession. Motif déterminant pour près d'un quart d'entre eux, et pour plus du tiers des jeunes ménages des grandes villes de province, il ne se résume pas à la volonté de passer en individuel. Il s'inscrit dans une recherche générale d'un cadre de vie plus agréable, de plus d'espace et de tranquillité. Tout au plus notera-t-on que les jeunes ménages modestes des petites villes mettent plus l'accent sur le seul changement de type d'habitat.

Ces motivations conduisent naturellement plus de 60 % des ménages interrogés à préférer une accession périurbaine dans un quartier de maisons individuelles, plus rarement en pleine campagne. De fait, l'accession la plus citadine concerne essentiellement les célibataires et autres petits ménages ; elle ne concerne guère plus d'un quart des consultants des ADIL. Très minoritaire dans les petites villes (14 % au plus), elle représente 25 % des projets dans les grandes villes de province et un peu moins de la moitié en agglomération parisienne.

La hiérarchie des critères de choix privilégie donc logiquement, pour cette accession très largement familiale et périurbaine, l'agrément du quartier et les espaces verts, l'équipement scolaire, le coût des logements et des terrains. La desserte par les transports en commun ne figure parmi les critères déterminants que pour les ménages de l'agglomération parisienne. La proximité des commerces et services urbains demeure, quoiqu'il en soit, un critère d'ordre secondaire, seuls les petits ménages et les familles des petites villes de province s'y montrant plus sensibles. En fait, les candidats à l'accession ne se soucient plus de l'accessibilité de ces équipements que de leur proximité immédiate. La densité de l'équipement commercial dans la plupart des agglomérations, l'amélioration des dessertes routières, y compris en périphérie, ôtent en fait à la proximité des commerces et services son caractère discriminant pour le choix de la localisation. Il en est tout autrement de la proximité et de la qualité des écoles.

Mises à part les catégories les plus fragiles, plusieurs éléments indiquent toutefois que les ménages se montrent assez exigeants. Il ressort des entretiens approfondis que les candidats à l'accession se fixent plus systématiquement une "zone de tolérance" en termes de temps de trajet domicile-travail, zone plus ou moins étendue selon la taille de l'agglomération. Ils se montrent plus réticents à s'éloigner que par le passé, et sont soucieux de pouvoir accéder facilement aux divers équipements et commodités urbaines, même s'ils n'en recherchent pas la proximité immédiate. De fait, 58 % d'entre eux expriment des exigences assez fortes et précises de localisation et se déterminent essentiellement, selon les cas, en fonction de la desserte par les transports en commun, l'accès aux commerces et services, les écoles, la proximité de la famille, le voisinage ou la qualité architecturale et urbaine. Les petits ménages (célibataires, isolés avec enfants à charge, couples assez aisés sans enfants) et les familles de plus de 35-40 ans, même modestes, sont incontestablement plus exigeants, en particulier en matière de desserte et de qualité de voisinage.

Sans doute est-ce le signe d'une certaine maturité - certes encore inégale - de l'élaboration des projets d'accession individuelle. Cette demande conjointe d'espace et d'accessibilité des équipements implique en revanche une urbanisation toujours plus coûteuse. Qui pourra en supporter le coût ?

Ceci n'exclut pas, malgré tout, une accentuation de certaines caractéristiques du modèle d'accession familiale et périurbaine : le rejet de la pleine ville, des centres et des banlieues dévalorisées, un souci de protection et de distinction sociale ... C'est du moins ce que suggèrent certains résultats de l'enquête. Il était, en effet, demandé aux consultants, où ne souhaiteraient-ils habiter en aucun cas. On est frappé par l'exacerbation du rejet des banlieues - pour tous les ménages et plus encore pour ceux des grandes agglomérations, même s'ils n'habitent ni en logement HLM, ni dans un quartier de grands collectifs -, et par celui de la "pleine ville" et des centre-villes, très répandu dans les zones rurales et petites villes.

Au total, la moitié des ménages interrogés rejettent, soit les banlieues, soit la pleine ville et les centres urbains en particulier. Qu'en est-il du retour au centre et de la mixité urbaine retrouvée ? Ces thèmes chers aux politiques d'habitat et d'urbanisme des quinze dernières années ne sont toujours pas, semble-t-il, le premier souci de la plupart des candidats à l'accession.

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